
Nous faisons face à une crise de la biodiversité sans précédent : 25% des espèces connues sont menacées et les taux d'extinction sont plus élevés que la moyenne des 10 derniers millions d'années [1]. Dans le monde entier, des particuliers, des entreprises et des gouvernements prennent des actions concrètes en faveur de la biodiversité. Pour mesurer l'efficacité de ces actions, il est indispensable de disposer d'outils de mesure fiables. Plusieurs indices de mesure de la biodiversité vous seront présentés.
Une diversité de définitions
La biodiversité englobe de nombreux concepts depuis la diversité des organismes vivants, la diversité des espèces, des gènes, et la diversité d'organisation et de distribution des écosystèmes [2]. Ici, nous utiliserons le terme "biodiversité" pour faire référence à la diversité des espèces, mais les outils de mesure des autres composantes de la biodiversité (gènes, interactions, traits) sont tout aussi importants.
Intuitivement, la diversité est définie par la richesse et l'équitabilité (Fig. 2). Une communauté composée de 6 espèces est plus diversifiée qu'une communauté de 2 espèces (richesse). Parmi deux communautés composées du même nombre d'espèces, celle dans laquelle les individus sont répartis équitablement entre les espèces (pas d'espèce dominante ou rare) sera considérée plus diversifiée (équitabilité).

Indices locaux de biodiversité
L'occurrence, la richesse et l'abondance constituent les mesures de base de la biodiversité.
Les données d'occurrence révèlent la présence d'une espèce dans un lieu et à une date spécifique (Fig. 3).

La richesse en espèces, précédemment évoquée, est le nombre d'espèces sur un site d'étude. L'abondance fait référence au nombre d'individus de chaque espèce. Les indices de Simpson et de Shannon, fréquemment présentés dans les études scientifiques portant sur la biodiversité, sont des indices combinant à la fois richesse et équitabilité (grâce aux données d'abondance).
Les indices locaux de biodiversité se déclinent généralement par taxon, et ce pour plusieurs raisons : les données sont collectées par groupe d'espèces (par exemple : végétation ligneuse, invertébrés, oiseaux, chauves-souris), les tendances peuvent varier selon les groupes, et les conséquences d'un changement ne sont pas équivalentes dans tous les groupes (l'impact sur l'écosystème de la disparition de deux espèces de plantes n'est pas le même que celui de la disparition de deux espèces d'oiseaux) [3].
La transition de l'échelle locale à l'échelle régionale

L'échelle de mesure est tout aussi déterminante que l'objet mesuré dans les études écologiques. Les indices de biodiversité sont calculés localement (diversité alpha : le nombre d'espèces sur un site) et régionalement (diversité gamma : le nombre d'espèces dans un ensemble d'habitats). La différence entre deux sites au sein de la même région écologique est mesurée par la diversité beta [4] (Fig. 4). Les stratégies de conservation ne peuvent chercher qu'à maximiser un seul type de diversité (alpha, beta ou gamma) car les changements opérés à une échelle peuvent être contre-balancés à une autre échelle. La mesure de diversité beta est essentielle pour opérer le changement d'échelle des mesures locales aux mesures régionales [4].
Indices globaux de biodiversité
La comparaison des niveaux de biodiversité entre différentes régions écologiques peut se révéler compliquée. Une solution consiste en l'harmonisation des mesures réalisées dans différentes régions par des poids (valeur moyenne de chaque indice, valeur de base commune). Les indices globaux de biodiversité doivent être quantitatifs, acceptés par la communauté scientifique, conceptuellement simples et sensibles aux premiers signaux de changement de biodiversité (espèces communes, rares et clés pour l'écosystème). Parmi ces indicateurs, citons le PLS (la perte potentielle en espèces d'ici un an d'après l'utilisation des terres, l'abondance moyenne en espèces et la vulnérabilité des espèces), MSA (l'abondance moyenne en espèces comparée à des valeurs de référence dans un écosystème comparable non pertubé), BII (l'indice de biodiversité intacte : l'abondance moyenne pour un groupe d'espèces dans une région donnée comparée à une population de référence), LPI (l'indice planète vivante, un suivi temporel global des changements de populations de vertébrés, Fig. 5).

Une approche alternative fait appel à des mesures indirectes pour évaluer l'état de la biodiversité. GEO BON a développé un ensemble de variables essentielles pour la biodiversité (EBVs) qui repèrent les changements de biodiversité grâce à des données in situ et des données de télédétéction [5]. Les données de télédétections incluent le dérangement d'un écosystème (caractérisation des incendies, des inondations, de la fragmentation), la structure des habitats (indice de surface foliaire, couverture végétale, biomasse aérienne), la composition de communautés végétales et la physiologie végétale (teneur foliaire en N/P/K, productivité primaire nette). UNEP-WCMC est également à l'initiative d'une liste d'indicateurs indirects de mesure de la biodiversité incluant la proportion d'aires protégées, les indices de la Liste Rouge liés à la pollution, les pratiques agricoles et le nombre d'espèces exotiques envahissantes.
Les limites de la mesure de la biodiversité
L'approche par indicateurs indirects repose sur la compréhension de l'entièreté des mécanismes entre variables environnementales et biodiversité, ce qui n'est actuellement pas le cas. Si les stratégies de conservation se basent uniquement sur des indicateurs indirects, elles peuvent se révéler inefficaces. Un exemple est le recours excessif aux caractéristiques de l'habitat (couverture végétale, utilisation des terres) et à la superficie dans l'évaluation des mesures compensatoires pour la biodiversité. Les stratégies de conservation sont, quant à elles, évaluées par des mesures directes de biodiversité et par la connectivité des habitats [6]. En gardant ces limitations à l'esprit, les mesures indirectes sont très utiles pour mettre en évidence les causes du changement de biodiversité et ne se limitent pas aux tendances populationnelles.
Malgré l'évidente attractivité des indicateurs globaux de biodiversité pour les gouvernements et les entreprises, ces indicateurs se basent sur des modélisations qui peuvent mener à de mauvaises interprétations, notamment à cause des variations entre les différents taxons et à différentes échelles. Une combinaison d'indices locaux et globaux est actuellement la meilleure option pour évaluer correctement la biodiversité et développer des stratégies de conservation efficaces.
Bibliographie
1 : S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio, H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, and C. N. Zayas (eds.). IPBES: Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. 2019. IPBES secretariat, Bonn, Germany. 56 pages. https://doi.org/10.5281/zenodo.3553579
2 : https://www.insee.fr/en/metadonnees/definition/c1264
3 : Yoccoz NG, Ellingsen KE, Tveraa T. Biodiversity may wax or wane depending on metrics or taxa. Proc Natl Acad Sci. 2018;115(8):1681-1683. doi:10.1073/pnas.1722626115
4 : Socolar JB, Gilroy JJ, Kunin WE, Edwards DP. How Should Beta-Diversity Inform Biodiversity Conservation? Trends Ecol Evol. 2016;31(1):67-80. doi:10.1016/j.tree.2015.11.005
5 : Skidmore AK, Coops NC, Neinavaz E, et al. Priority list of biodiversity metrics to observe from space. Nat Ecol Evol. 2021;5(7):896-906. doi:10.1038/s41559-021-01451-x
6 : Marshall E, Wintle BA, Southwell D, Kujala H. What are we measuring? A review of metrics used to describe biodiversity in offsets exchanges. Biol Conserv. 2020;241:108250. doi:10.1016/j.biocon.2019.108250